[Dossier QVT] Les risques psychosociaux au travail par Philippe Douillet

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Les risques psychosociaux peuvent provenir de nombreux aspects de la vie en entreprise. Burnout, dépression ou même suicide sont parmi les traductions de problèmes psychosociaux non résolus. Les risques psychosociaux sont encore aujourd’hui un concept mal compris par les entreprises, qui oublient que les méthodes de travail, l’organisation, agissent sur le bien-être et la santé mentale et physique du salarié. Pour nous parler de cette thémathique, nous avons contacté Philippe Douillet, chargé de mission à l’ANACT, chef de projet « Prévention des RPS » et auteur de « Prévenir les risques psychosociaux ».

L’expression « risques psychosociaux » est souvent assimilée au stress en entreprise, existe-t-il une définition plus précise ?

Il y n’a pas de définition académique, c’est un terme qui veut dépasser la seule notion de « stress ». Cela prend en compte, du côté des effets, les violences au travail, le harcèlement, le mal-être, diverses manifestations de tensions au travail. Du côté des causes, on veut mettre l’accent avec le terme « risques » sur le fait que cela renvoie en premier lieu à certaines conditions de travail qui créent des situations pathogènes, par opposition à une approche qui privilégierait la fragilité des individus.

L’Anact utilise la définition qui a été établie par le collège “Gollac”, un groupe d’experts sur la prévention et le suivi des risques psychosociaux en entreprise qui a rendu un rapport largement reconnu par la communauté scientifique en  2011. Les risques psychosociaux sont entendus comme risques pour la santé mentale, physique et sociale. Ce rapport souligne les facteurs organisationnels car ce sont bien les conditions d’emploi, de travail qui sont principalement à l’origine des risques.

Comment se traduisent ces risques psychosociaux dans l’entreprise ?

Les formes de mal-être au travail vont se traduire différemment selon les personnes : mal-être, dépression, problèmes physiques traduisant des problèmes de santé mentale (maux de dos, TMS…). Il y a des souvent signes qui concernent les relations entre les personnes : réduction des échanges, montée des conflits dans les équipes, avec le management, avec les clients. Malheureusement, il y a parfois des manifestations plus graves comme le suicide. On constate aussi souvent des formes de retrait, de désengagement au travail, des absences répétitives de courte durée, de 2 à 3 jours.

Quelles sont les causes de ces situations ?

Elles sont nombreuses et souvent combinées mais on peut insister sur quelques causes très fréquentes : situations de changement permanent dont on ne comprend pas le sens, modifications répétées d’organisation, de systèmes techniques et informatiques…  Cela produit beaucoup de perturbations dans les repères des personnes et des collectifs. On peut parler aussi de l’intensification du travail qui est un phénomène important avec, à la fois une plus grande quantité de travail pour des effectifs qui restent réduits, et une plus grande complexité des tâches à effectuer dans des temps toujours plus contraints. C’est sans compter aussi les nouvelles technologies (Internet, smartphones) qui contribuent à la multiplication d’informations à traiter mais aussi à faire déborder le temps de travail sur la vie personnelle.

C’est un cercle vicieux : plus on a de charges, moins on a de temps pour parler, échanger au travail, réguler les inévitables problèmes à résoudre dans le travail. Les difficultés relationnelles deviennent alors de plus en plus grandes au travail. C’est un facteur de mise à mal des collectifs, des groupes de travail, car qui dit manque de temps, dit manque de cohésion. Il y a aussi la perte de sens au travail quand l’entreprise est rachetée, s’il y a des changements de dirigeants fréquents, un développement de multiples consignes de différents ordres, des objectifs de production qui se cumulent, des objectifs qui deviennent incohérents et contradictoires. Un autre élément important, c’est la difficulté du management qui n’est plus là ou plus assez là, pour aider les salariés au quotidien, trop absorbés eux-mêmes par de multiples tâches qui les éloignent du travail réel de leurs équipes.

Comment détecter les symptômes rapidement ?

Il peut y avoir un certain nombre d’indicateurs formels ou informels significatifs de difficultés psychosociales. On a parlé de tentatives de suicide mais il y en a bien d’autres, moins graves heureusement. Les symptômes intermédiaires peuvent être détectés par le médecin du travail : des pleurs lors d’une visite médicale, des manifestations de douleur, de mal-être dans les paroles. L’absentéisme, une nouvelle fois, est un indicateur important. Une analyse fine de l’absentéisme permet de comprendre des choses. Il faut aussi observer la vie des collectifs : les conflits entre des équipes qui s’entendaient bien auparavant, les conflits entre équipe et managers. Et puis il y a des indicateurs du côté de la production : montée des défauts sur les produits, perte de qualité, conflits avec les clients…

Quelles sont les conséquences lorsqu’ils ne sont pas traités à temps ?

On parle souvent de tous les phénomènes de dépression et du suicide. Mais il y a aussi des conséquences de somatisation, de santé physique, de maux de dos liés à une mauvaise ambiance. Troubles musculo-squelettique, problèmes cardiaques : de nombreuses manifestations de mal-être ne sont pas répertoriées comme maladies professionnelles. Quand vous êtes en dépression, vous avez un arrêt de travail, rien de plus. D’où l’importance d’avoir des relations étroites avec le médecin du travail qui va donner des indications sur ces manifestations qui peuvent révéler un stress particulier.

Quelles pratiques peuvent réduire les risques ?

On doit tout d’abord être en veille permanente. Cela veut dire recueillir des infos, des « indicateurs d’ambiance ». Cela peut être fait par la direction ou par le service des ressources humaines en relation avec les autres acteurs intermédiaires dans l’entreprise. Il faut favoriser des lieux et temps d’expression réguliers sur les situations concrètes de travail : avec les cadres, le médecin du travail, les représentants du personnel et directement avec les salariés bien sûr, sur le terrain. Avoir aussi ce souci d’anticipation des changements pour détecter des situations de conflit potentiel, de tensions. Pour éviter ces situations à risques, il faut évaluer l’organisation du travail.

Nous avons créé à ce sujet un modèle d’analyse concret des situations de travail qui prend en compte les facteurs de contraintes créant les difficultés mais aussi les facteurs de ressource à valoriser.  L’obligation pour l’entreprise d’évaluer régulièrement tous les risques professionnels et de les consigner dans le « document unique » peut aussi être une occasion de traiter des risques psychosociaux. Grâce à ce système, on repère mieux des situations de travail difficiles, des « situations-problèmes » sources de tensions excessives. Cela peut être vite résolu si la situation est repérée rapidement. Si on ne régule pas et que les situations se reproduisent souvent, il se peut qu’il y ait un moment où ça “craque”.

Dans les plans de prévention, les entreprises doivent travailler sur les questions de charge de travail, de parcours professionnels, du rôle et des moyens du management, des modalités d’expression des salariés et de prise en compte des difficultés concrètes pour réaliser le travail. Il faut une atmosphère de dialogue en entreprise, développer des espaces de discussion, d’échanges, avec les salariés. Ce n’est pas si compliqué, mais il faut s’y tenir et organiser ces temps favorables aux échanges à partir du travail ; c’est bon pour la santé mais aussi pour le bon fonctionnement de l’entreprise.

 « Prévenir les risques psychosociaux : outils et méthodes pour réguler le travail » de Philippe Douillet, éditions Anact.

Source de l’image à la Une : Anact

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A propos de l'auteur

JaimeLeLundi http://www.jaimelelundi.com
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